Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 mai 2024 7 05 /05 /mai /2024 01:00

Elle peut se faire de façon directe, par apostrophe, prise de parole et désir de convaincre l’autre, ou bien de façon indirecte, comme a entrepris de le faire un prêtre breton, qui propose aux habitants de Poitiers des crêpes au parfum de « bienveillance », préparées dans son camion aménagé en cuisine ambulante. Ce food truck solidaire est appelé Frère Truck. (Source : lepelerin.com, 18/04/2024)

 

Cette démarche est évidement un signe de la profonde déchristianisation de notre société. Les églises se vident, et on espère lutter contre cette tendance par des expédients inattendus, l’appel à la gourmandise par exemple. On peut sourire ironiquement devant cette initiative, trouver qu’on mélange indûment des rôles et des domaines et qui devraient rester séparés. Et on peut même se scandaliser de cette « profanation ».

 

Mais je ne le ferai pas, trouvant l’entreprise sympathique. Le prêtre espère qu’à l’occasion des rencontres qu’il fait dans ce cadre une conversation peut s’engager, qui pourra amener son client à passer de la nourriture physique à la nourriture spirituelle, et à entrer un jour dans une église. Il cite un des passages de l’Évangile qu’il affectionne particulièrement : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Matthieu, 11/25)

 

« Sympathique », ai-je dit. Mais peut-être assez naïve aussi. Qui dit que les clients une fois rassasiés (si succulente soit la crêpe) iront plus loin ? Qu’ils comprendront, pour adapter une parole biblique, que l’homme ne vit pas seulement de crêpes ? C’est il me semble leur faire un grand crédit. L’inappétence de la plupart des gens aujourd’hui pour une quelconque dimension spirituelle à donner à leur vie est très grande. Je dirai même plus : il y a en général un désintérêt très répandu pour les choses de l’esprit. Je le constate dans les conférences que je donne, où les auditeurs veulent bien être nourris dans l’instant comme des oiseaux à qui on donne la becquée, mais ne creusent pas plus avant une fois la réunion terminée. Rares ceux qui après avoir absorbé choisissent de digérer ce qu’ils ont entendu, par la lecture d’un livre par exemple.

 

Je crois que la cause en est plus la paresse que la malignité. On se dispense de l’effort que demanderait l’approfondissement d’une rencontre, et on peut renoncer alors à voir l’homme de Dieu derrière le vendeur de crêpes. C’est bien dommage.

 

La crêperie solidaire propose des prix qui défient toute concurrence: 50 centimes la crêpe nature et 1€ celle au sucre ou à la confiture. (D.R.)

 

Partager cet article
Repost0
3 mai 2024 5 03 /05 /mai /2024 01:00

I

l en est de virtuels, et Facebook en est un. Il compte déjà 2 milliards d’utilisateurs, et chaque minute trois personnes qui y sont inscrites meurent dans le monde. À cette cadence, le nombre de profils de personnes décédées devrait dépasser celui de personnes vivantes d’ici cinq ans (Source : Sudouest.fr, 01/11/2017).

 

Le profil d’une personne décédée peut être transformé par sa famille et ses amis en « page souvenir », et être alimenté avec des photos ou des hommages. Si cela peut soulager les proches de la victime, cela peut aussi les empêcher de faire leur deuil, et de surmonter la peine de la perte en regardant plutôt vers l’avenir que vers le passé. En outre de telles pages suscitent parfois un voyeurisme malsain.

 

Dans le cas aussi où nul ne voudrait perpétuer cette « page souvenir », le fait de laisser le profil Facebook d’un mort à l’abandon pose aussi problème. Ces pages fantômes ne disparaissent pas pour autant : elles reviennent hanter les proches de la victime, et s’incrustent dans le monde des vivants à grands coups de notifications automatiques et de rappels d’anniversaire. L’informa­tique ignore l’oubli, et on peut y traîner des casseroles non seulement toute sa vie, mais encore toute sa mort : une éternité de rappels, qui ne sont pas forcément bienvenus, aussi bien pour sa propre mémoire que pour la vie des survivants.

 

En vérité, les vivants doivent se séparer des morts pour pouvoir continuer à vivre. En Afrique, on dit qu’il faut « tuer le mort », et le transformer en « ancêtre ». Si le poids du mort sur le vivant est trop grand, le second est vampirisé par le premier. Le vampire est celui qui n’est pas encore mort, un mort-vivant s’acharnant sur les vivants et se nourrissant de leur substance.

 

Chez nous on affecte au souvenir des morts un jour de l’année, le lendemain de Toussaint. Mais les autres jours on ne subit pas leur emprise, et on peut regarder vers l’avenir, faire des projets. Pareillement le remariage est autorisé, voire conseillé, après le veuvage. Cela évite de vivre toujours sous la domination de la personne morte, comme c’est le cas dans La Chambre verte, de Truffaut, ou dans Dracula, de F-F. Coppola.

 

Chez les anciens Grecs on fêtait les morts le troisième jour des Anthestéries, mais aussi à la fin de ce jour on leur donnait congé, en les renvoyant dans leur propre monde. La signification est la même.

 

L’éternité Facebook oublie cette séparation symbolique nécessaire des deux mondes. Elle est faite dans nos cimetières par le mur, souvent élevé, qui les enclot. Sinon on n’en comprendrait pas l’utilité : ceux qui sont à l’intérieur ne peuvent pas en sortir, et ceux qui sont dehors ne veulent pas y entrer ! Sachons donc en tirer leçon...

 

[v. Barbarie]

 

Article paru dans Golias Hebdo, 16 novembre 2017

 

D.R.

*

 

Retrouvez d'autres textes insolites comme celui-là dans le livre suivant

(cliquer sur l'image ci-dessous) :

 

Partager cet article
Repost0
1 mai 2024 3 01 /05 /mai /2024 01:00

J

e l’ai toujours considérée comme un insecte sympathique, inséparable de mon cher Midi natal.

 

Apparemment tous ne sont pas de mon avis, puisqu’à Beausset (Var) des touristes se sont plaints du bruit qu’elles faisaient. Voici ce que rapporte le maire de la commune : « Ils m’ont demandé : Est-ce que vous avez des produits insecticides pour passer sur les arbres ? Comment se débarrasser des cigales ? Elles fontcrac-crac-crac’… Ça n’a rien à voir avec un chant. » L’élu, qui a refusé de les aider, ajoute que les cinq touristes en majorité issus de la région parisienne ont ensuite arrosé les arbres dans une tentative désespérée de faire taire les cigales. (Source : Francetvinfo.fr, 21/08/2018)

 

On savait déjà que les cloches faisaient trop de bruit, puisque perturbant la grasse matinée des vacanciers en Lozère, au point que certains s’en sont plaints là encore au maire de la commune, et ont déposé plainte auprès de leur Agence immo­bilière pour omission de leur signalement dans leur contrat de location (Source : Midilibre.fr, 08/08/2018).

 

Je suis sûr que d’autres maintenant vont se plaindre à la campagne du chant du coq le matin, ou du bruit des grenouilles la nuit, etc. Mais sont-ils aussi insupportables que le bruit de la circulation que doivent subir à longueur d’année les touristes venus de Paris ?

 

Voyez le cas remarquable du fameux coq Maurice, accusé de réveiller les voisins, qui fait l’objet d’un feuilleton judiciaire à rallonge [v. Antispécisme].

 

Bref l’homme moderne n’admet aucun désagrément quel qu’il soit : il se comporte comme un petit tyran capricieux et égocentrique. Je pense à ce Señorito satisfait, ce « fils de famille » à qui tout est dû dont parle Ortega y Gasset dans sa Révolte des masses. Au fond de tout cela il y a une dénégation du destinal, de toute idée de limite, de tout déterminisme infrangible, à commencer par celui de la géographie. C’est typique de notre modernité.

 

Je vais donc laisser où ils sont ces touristes réboussiers, et penser avec nostalgie à mes chères cigales, qu’il est d’ailleurs si dur d’abandonner, et je me répéterai la chanson d’Alibert et de Tino Rossi :

 

« Adieu Venise provençale           
Adieu pays de mes amours           
Adieu cigalons et cigales  
Dans les grands pins chantez toujours... »

 

Article paru dans Golias Hebdo, 13 septembre 2018

 

D.R.

*

 

Retrouvez d'autres textes insolites comme celui-là dans le livre suivant

(cliquer sur l'image ci-dessous) :

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de michel.theron.over-blog.fr
  • : "Mélange c'est l'esprit" : cette phrase de Paul Valéry résume l'orientation interdisciplinaire de mon blog. Dans l'esprit tout est mêlé, et donc tous les sujets sont liés les uns aux autres. - Si cependant on veut "filtrer" les articles pour ne lire que ce qui intéresse, aller à "Catégories" dans cette même colonne et choisir celle qu'on veut. On peut aussi taper ce qu'on recherche dans le champ "Recherche" dans cette même colonne, ou encore dans le champ : "Rechercher", en haut du blog - Les liens dans les articles sur le blog sont indiqués en couleur marron. Dans les PDF joints, ils sont en bleu souligné. >>>>> >>>>> Remarque importante (avril 2021) : Vous pouvez trouver maintenant tout ce qui concerne la Littérature, la Poésie et l'Art dans mon second blog, "Le blog artistique de Michel Théron", Adresse : michel-theron.eu/
  • Contact

Profil

  • www.michel-theron.fr
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

Recherche

Mes Ouvrages